Secourisme : la fin du bouche-à-bouche
C'EST une notion qui faisait ces dernières années son chemin prudemment
dans le milieu des urgentistes, et qui est officiellement prouvée
aujourd'hui : le bouche-à-bouche ne sert à rien pour sauver les
personnes en arrêt cardiaque, et même il diminue les chances des sujets
concernés. La preuve vient d'en être administrée par une étude de
chercheurs japonais publiée samedi 17 mars dans
The Lancet. Par un de ces paradoxes français, nos concitoyens n'osent déjà pas pratiquer les manoeuvres de simple secourisme, les fameux
« gestes qui sauvent ».
S'il faut, en plus du massage thoracique, pratiquer alternativement une
ventilation pulmonaire par le bouche-à-bouche, le secouriste solitaire
renonce avant même d'avoir commencé, et tape frénétiquement sur son
portable le numéro du Samu. Or dans la chaîne de survie des arrêts
cardiaques sur la voie publique, les quatre minutes perdues dès la
constatation de l'arrêt cardiaque ne se rattrapent jamais.
Score neurologique favorable
Au Japon comme en France, moins d'un tiers des personnes dont le coeur
s'est brusquement arrêté reçoivent des gestes de secourisme des
passants. L'étude du SOS Kanto Group réunissant huit hôpitaux
universitaires de Tokyo et ceux de Saitama et Chiba (Japon) a pu
vérifier que sur 4 241 arrêts cardiaques observés par des passants,
2 917 n'avaient fait l'objet d'aucune manoeuvre de secourisme ; 1 324
avaient été réanimés, pour 434 d'entre eux par un simple massage
cardiaque externe. 712 autres ont reçu des soins de secourisme
associant le massage cardiaque à des manoeuvres de ventilation par le
bouche-à-bouche. 22 % des patients n'ayant eu que le massage thoracique
présentaient, trente jours après une réanimation réussie, un score
neurologique favorable (soit qu'ils avaient parfaitement récupéré leurs
fonctions supérieures, soit qu'ils n'aient eu qu'un handicap qualifié
de modéré). À l'inverse, seul 10 % des sujets ayant eu massage et
bouche-à-bouche en même temps atteignaient un score neurologique
comparable.
Peur de se contaminer
Pourquoi ce bouche-à-bouche est-il si défavorable ? Il y a à cela sept
raisons essentielles : tout d'abord, les secouristes ont à la fois peur
de se contaminer en le pratiquant, et sont rebutés par la complexité du
double geste (massage plus ventilation). Ensuite de nombreuses études
ont montré une survie améliorée dans les arrêts cardiaques du fait du
seul massage cardiaque.
Tertio : il faut au secouriste solitaire interrompre le massage
cardiaque pour ventiler au bouche-à-bouche pendant de longues secondes.
Or, la perfusion vasculaire cérébrale et la perfusion des artères
coronaires alimentant le coeur ne peuvent être assurées, sur un sujet
au coeur arrêté, que par une compression thoracique alternée constante.
Les pressions artérielles sont alors continues et préservent le
cerveau, ce qui n'est pas le cas avec le bouche-à-bouche.
Quarto : le bouche-à-bouche, comme la ventilation artificielle au
masque ou avec un ventilateur mécanique, augmente la pression à
l'intérieur du thorax, ce qui diminue le retour veineux, mais aussi la
perfusion artérielle coronaire et le débit sanguin cérébral. Si on
comprime le thorax pendant le bouche-à-bouche, cela augmente encore la
pression thoracique.
D'autre part, lors d'un arrêt cardiaque
« primaire »,
les veines pulmonaires, le coeur gauche, et la totalité du système
artériel sont remplis d'un sang oxygéné. Le bouche-à-bouche ne peut
améliorer la saturation déjà importante du sang en oxygène. Il faut
aussi noter que chez nombre de victimes d'arrêt cardiaque, il existe un
réflexe initial de
« gasp » inspiratoire : si la
compression thoracique est démarrée immédiatement et continuellement,
le réflexe se poursuit, assurant une ventilation aérienne physiologique.
JEAN-MICHEL BADER
Source : Le Figaro du 15 octobre 2007