Le secourisme : entre formation et passion

DPS national Fêtes de Bayonne : Blanc sur la ville

Bayonne

Blanc sur la ville

 

Pendant les Fêtes, un dispositif de santé unique vit et meurt. Plongée dans une cité parallèle une nuit.

 

Il est une autre ville blanche que celle des clefs laissées sur le palier aux festayres. Une ville blanche H24, sans bout de sommeil sur un bout de trottoir. Une cité ouatée. Pendant ces Fêtes, des milliers seront passés devant ses portes sans les entrevoir. Postes de secours avancés de Glain, université, Albert 1er. La lumière est bien allumée, au-dessus. Ballons blancs lumineux. Asile du fêtard.

Dans la ville d'apparence, le rouge flamboie ; le foulard fait son malin aux accents de la peña Baiona. Dans la ville des urgences, le rouge est contenu. L'écharpe se fait bandoulière. Les plaies sanguinolentes du menton ouvert se font ourler. Le gilet cramoisi des pompiers et les bandelettes orange des bénévoles de la Protection civile se font feux clignotants, rassurants. La voie qui mène aux secours est assourdie. Voiture protectrice du Samu. Sillage à peine écorné par le choc d'un poing sur la carrosserie.

 

Au poste université, début de nuit. La vache a frappé en fin de matinée, mais le jeune homme arrive vers 23 heures, le genou endolori. Lorsque l'alcool cède le terrain à la douleur. Il repart avec un pansement… Et un bon de sortie des Fêtes. Au cœur de la ville, ce poste-là reçoit nombre de traumas. Coups et blessures. « J'ai écrasé la gueule à quelqu'un. Il m'a énervé », crie une gueule à peine cassée. « Je veux qu'on me donne le feu vert pour rentrer chez moi et faire l'amour à ma femme », revendique un cracheur de sang, entre deux couinements d'amour pour une jeune volontaire de la Protection civile.

 

23 h 30. Au pied des remparts, jardins de la Poterne. Quentin, 20 ans, a fait une mauvaise cabriole. Dix mètres plus bas, sur le bitume du terrain de basket, l'équipe du Samu l'entoure, dans les phares des véhicules. « Merci de rester à distance », demande Tarak Mokni, responsable du Samu-Smur. Assis en tailleur, pauvres spectateurs, côte à côte avec le meilleur ami du jeune homme. Il cherche dans ses souvenirs. « Il m'a appris la vie ». Il veut recueillir du feu, pour une cigarette. Il collecte les numéros de portable des parents du blessé. « Ce mec est indestructible », souffle t-il. Il respire. Quentin a le fémur fracturé, et le visage en sang.

 

Cerveau

 

Le blanc de la ville aux peñas fait des trous dans la mémoire. Un blanc-seing donné à l'inconscience. Le blanc parsemé de croix rouges fait avancer la science. Le dispositif de secours des Fêtes est un cerveau surpuissant. Le docteur Jean-Michel Campagne a imaginé l'arborescence d'un logiciel de gestion des patients des Fêtes de Bayonne. Programmé par Thibault Étienne, l'outil unique digère les fiches des patients, saisies sur le vif de la course de vaches.

Et des vapeurs de la feria, le docteur Hélène Marchand a extrait un « score secouriste » (1). Un modèle à l'usage des bénévoles de la Protection civile, pour passer chaque arrivant au crible. Niveau de conscience, respiration, circulation, tension, sucre dans le sang. L'enjeu de la machine est de ne jamais l'enrayer. Garder les urgences à distance. Pour les maintenir en vie. Un plan blanc de précatastrophe.

 

Écloserie

 

Un plan rouge a été testé, avant les Fêtes. Une explosion suivie d'un incendie, rue Pannecau. Un « cas où » heureusement jamais présenté…

En fin de nuit, au poste de Glain. Château Margaux pour les habitués. Un plancher pour décuver, draps blancs et sac à vomi fournis. « Jordy, c'est ta quatrième nuit ! C'est toi le fil rouge. Hier, on avait dit pizza et charentaises pour toi », s'indigne une bénévole. Le poupon offre un air contrit. « Quand on prend l'habitude de venir. Promis, je reviens pas. Je rentre à Paris. »

« La jeune fille qui est là-bas, elle dit : Je veux pas partir, je suis trop confortable ici », signale en souriant le docteur Oliver Jenkins. Il vogue d'un échoué du gobelet à l'autre.

À 5 heures du matin, le poste de Glain a des allures d'écloserie. Dizaines de jeunes gens emmaillotés en leur cocon doré. La couverture de survie est diversement portée. Façon nuptiale. Deux dans de beaux draps, pour un couple enivré à peine rencontré. Elle, la tête posée sur un foulard rouge plié en quatre. Belle en diable. Lui caché sous le papier cadeau. Son bras vit encore. Une caresse en sommeil.

 

À 7 heures, il est temps de dégager le plancher. « Où elle est, elle n'arrivera pas à décoller », assure le docteur. La jeune fille, perles aux oreilles, et ongles rouges sera l'une des trois à rester dans le circuit. Direction les urgences.

D'autres, plus lucides sont raccompagnées jusqu'à la sortie de l'enceinte de la Maison des associations au bras d'un garçon de la Protection civile. Avec leur traîne de survie.

Thèse : Étude d'un score secouriste dans le cadre des Fêtes de Bayonne 2010.

 

Auteur : emmanuelle fère

Source : Sud Ouest du 1er août 2011



01/08/2011
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